Differente

Un film de Lola Doillon

11 juin 2025

ENTRETIEN AVEC LOLA DOILLON

 Qu’est-ce qui vous a amenée à cette histoire ?
C’est le sujet qui est venu à moi. Je savais que je voulais partir sur une histoire amoureuse. En parallèle je me renseignais sur l’autisme, car on m’avait proposé de réaliser plusieurs projets sur ce sujet. J’ai pris conscience que je n’y connaissais pas grand-chose et comme le personnage de Katia, je me suis lancée dans de longues recherches. J’ai ainsi découvert les spécificités de certaines femmes autistes sans déficience intellectuelle. J’avais la sensation d’avoir accès à une différence qui n’était peut-être pas si éloignée. Ce qui m’a troublée c’est que beaucoup de ces femmes avaient été diagnostiquées tardivement. Comment pouvait-on passer à côté de son autisme ou de celui de ses proches ? Je me suis ensuite demandé ce que le diagnostic apportait et changeait pour la personne, ainsi que pour son entourage… et spécialement dans sa relation amoureuse. Pour Katia et Fred ça ne pouvait pas être le même cheminement et c’est ce décalage de ressentis et de réactions qui m’intéressait. Confronter leurs états de doute, d’appréhension, de soulagement à leurs sentiments amoureux. Comment on fait quand on s’aime mais qu’on n’arrive pas à vivre cette relation ? Plus généralement, cela m’emmenait à réfléchir au comment vivre une histoire d’amour quand on ne rentre pas dans les codes de notre société.

Quel était votre guide à l’écriture ?
Ce qui m’importait c’était que cette histoire d’amour puisse être possible, qu’on puisse comprendre le cheminement des sentiments et des réactions des personnages. Il était aussi important que le personnage de Katia soit juste, même si elle ne représente en aucun cas toutes les femmes autistes - il y a autant d’autismes que d’autistes. J’ai rencontré en amont beaucoup de femmes concernées, ainsi que des spécialistes, à qui j’ai ensuite faire lire et « corriger » le scénario, pour vérifier que le personnage de Katia soit crédible. J’avais aussi envie qu’on puisse se mettre du côté de Fred et de son ignorance quant au sujet. J’aime bien qu’il ne soit pas un personnage exemplaire, qu’il pense que ce nouveau mot « autiste » est anecdotique dans sa relation amoureuse. Il est comme beaucoup de gens, maladroit par méconnaissance, même si c’est quelqu’un de bien qui va ensuite être capable de prendre conscience et de réagir en conséquence. Et il y avait aussi l’envie de jouer avec les nombreux préjugés sur l’autisme qui me paraissent aujourd’hui tellement absurdes alors que je les avais il y a quelques années.

 

Aviez-vous les acteurs en tête lorsque vous avez écrit le film ?
J’ai souvent du mal à imaginer les acteurs en amont par peur d’être déçue en cas de refus. Et sur ce projet, il fallait trouver la bonne personne capable d’interpréter le rôle de Katia avec justesse. A côté du casting plus traditionnel, la directrice de casting, Constance Demontoy, a aussi ouvert des recherches auprès des quelques rares agences ayant des acteurs-rices atypiques. Puis j’ai rencontré Jehnny Beth qui s’est imposée de manière très évidente. Elle a une singularité qui a naturellement fait exister l’atypie de Katia. Pour le personnage de Fred ça a été aussi très évident. La directrice de casting, ainsi qu’une autre personne de confiance m’avaient toutes deux parlé de Thibaut Evrard et effectivement il incarnait le côté bon vivant et très charmant que je recherchais. Il fallait aussi que ce duo fonctionne, qu’on puisse croire à leur relation. Dès la première rencontre, le couple a existé.

Quel a été votre travail avec les acteurs ?
Avec Jehnny, nous devions ajuster les particularités de Katia. J’avais des directions mais il a fallu travailler ensemble pour trouver la justesse du personnage. Elle a aussi rencontré plusieurs femmes autistes pour s’imprégner de leurs témoignages et répondre à ses questions. Puis nous avons fait plusieurs lectures et répétitions avec Jehnny et Thibaut, autant pour travailler le texte que pour faire exister leur couple. Je pense n’avoir jamais autant travaillé en amont et avec autant de précision les personnages. Ce qui était un luxe car ça nous a permis, sur le tournage, de trouver le temps de chercher encore, de faire plusieurs prises, malgré une durée de tournage assez restreinte. Non seulement j’ai eu la chance d’avoir rencontré des acteurs travailleurs mais leur confiance, leur connivence et leur bienveillance ont permis d’avoir une grande liberté de jeu : on pouvait essayer des pistes sans crainte de se planter ou d’en faire trop.

 

Le film montre comment notre société est peu dans un souci d’inclusion, et souvent même pas du tout adaptée aux personnes avec handicap…
Il y a un grand travail à faire de dialogue, d’écoute, de rencontres pour éduquer et trouver le moyen de vivre ensemble avec la reconnaissance de la différence, et pas seulement les uns à côté des autres. On est tous conscients qu’il est nécessaire de faire évoluer plus rapidement les choses, mais les actions ne sont pas encore suffisantes aujourd’hui. 

 

En quoi l’autisme féminin est-il plus compliqué à diagnostiquer ?
Le spectre autistique est très large et aucune personne concernée ne ressemble à une autre. Mais plus de femmes ont cette capacité à s’adapter et à masquer leurs différences. Elles sont ainsi plus nombreuses à passer à côté du diagnostic. Certains des tests ne sont pas adaptés aux femmes (les critères ont été établis à partir d’une population masculine), et les personnes spécialisées qui font passer ces tests ne sont pas forcément formées à leurs spécificités. En France, nous sommes encore très en retard, notamment en ce qui concerne le diagnostic.

 

Était-ce un exutoire de suivre un personnage qui vit en dehors des codes ?
Au contraire, j’ai dû faire attention car je ne voulais pas que Katia soit une caricature, qu’on se moque d’elle. Ce qui n’empêchait pas de pouvoir s’amuser et jouer avec ses différences comme sa franchise, son pragmatisme ou sa sensibilité, mais toujours avec bienveillance et sympathie. Les personnes autistes ont beaucoup d’humour et je me suis souvent inspirée des anecdotes qu’elles ont racontées. Le but est que ce film s’adresse à tout le monde.

 

Les personnages de la mère et celui de la collègue de travail montrent que les réactions de l’entourage peuvent être très différentes…
Encore une fois, il n’y a pas de règle. Mais le mot « déni » est souvent revenu dans les témoignages, notamment concernant les parents ou le conjoint. Je me suis dit que c’était intéressant d’en parler à travers la mère de Katia (Mireille Perrier), d’essayer de comprendre aussi. D’un côté les parents sont les plus à même de connaître leur enfant, d’un autre sûrement les plus aveugles. On ne veut pas que son enfant soit différent - ou alors en mieux ! Se rajoute ensuite la culpabilité de cet aveuglement alors qu’on est censé être la personne la plus aidante. Quoiqu’il en soit, le déni est terriblement préjudiciable pour la personne qui aurait plutôt besoin de soutien que de rejet. Heureusement d’autres personnes comme la collègue et amie de Katia (Irina Muluile) l’acceptent sans jugement. C’est une femme avec une forte personnalité qui se moque des codes et des normes. Et d’autres peuvent l’accepter avec une certaine indifférence comme le directeur de rédaction.

 

Pourquoi avoir tourné à Nantes ?
Quand le scénario le permet, je préfère tourner en dehors de Paris. Pour une question de simplicité, de cohésion d’équipe, mais surtout pour explorer une nouvelle ville. Les financements m’ont amenée en Région des Pays de la Loire. J’ai choisi de tourner à Nantes, qui proposait un large éventail de décors. Ce qui me plait dans la découverte d’une ville, c’est d’abord de comprendre son fonctionnement. Grâce à l’équipe sur place, aux différentes rencontres et aux déambulations dans les quartiers, j’ai regardé la ville d’une façon quasi sociologique pour ensuite savoir où placer les personnages dans cet environnement. Dans quels restos, bars, quartiers, ces personnages avec leurs âges, leurs classes sociales peuvent habiter et sortir. J’avais aussi envie de jouer avec le contraste entre les deux personnages : Fred, bon vivant, vit dans une maison atypique, bordélique et travaille dans une menuiserie associative tandis que Katia, plus solitaire, vit dans un appartement, sorte de cocon à l’abri de l’extérieur, et travaille dans un open space d’un immeuble moderne. Même si c’est une fiction et que les aléas d’un tournage restreignent souvent certains désirs (trop loin, trop cher), j’aime bien garder un certain réalisme. Et si je transige à ce réalisme, c’est en conscience. Bien que cette histoire puisse exister partout, j’avais envie que les Nantais puissent retrouver leur ville. 

 

Quelles étaient vos exigences en matière de mise en scène, d’image ?
Nous avons tourné en février à Nantes, nous savions que la météo allait être capricieuse, nuageuse, souvent pluvieuse. Avec Pierre Milon, le chef opérateur, nous voulions contrebalancer le côté triste et morose de la saison en recherchant la luminosité. Ce qui nous a amenés à choisir des lieux avec beaucoup de fenêtres (l’appartement de Katia, son bureau, les cafés et restaurants). De plus l’idée est venue que Katia porte toujours un vêtement ou accessoire de couleur rouge quand elle sort de chez elle, couleur qui la représente mais qui vient aussi contraster le gris de la ville. En ce qui concerne la mise en scène, l’envie était de rester proche de nos personnages, surtout de Katia que l’on filmait souvent seule. Il fallait pouvoir la suivre avec fluidité, on est donc parti avec l’idée d’avoir une caméra à l’épaule quand Katia sort de chez elle.

 

Quelles étaient vos attentes pour la musique ?
J’ai découvert que beaucoup de personnes autistes écoutaient du hardcore, du métal, bref du « gros son » ; Ce qui va à l’encontre des clichés qu’on peut avoir sur l’autisme.

Pour contraster avec ce genre de musique qu’écoute le personnage de Katia, je voulais une musique originale plus délicate, plus douce. L’idée était d’accompagner sa complexité émotionnelle par une musique qui nous fasse partager son ressenti, que ce soit dans des moments d’angoisse et de stress, ou dans des moments de sérénité ; une musique minimaliste mais qui ne soit pas trop connotée « classique » pour ne pas assagir sa singularité. Le superviseur musical du film, Thibault Deboaisne, m’a présenté le groupe Code, composé de Jérémy Arcache et Léonardo Ortega. J’ai beaucoup aimé leur créativité et leur talent à mélanger les genres. On s’est rapidement entendu sur le fait d’avoir une musique épurée mais sophistiquée. En cohérence avec ce film où il y a peu de personnages, l’idée était de partir avec peu d’instruments, mais de choisir ceux qui pouvaient retranscrire le plus le côté humain, majoritairement des instruments à cordes et à vent. Les mélodies sont souvent structurées de motifs répétitifs. Elles retranscrivent soit une métronomie très rassurante pour Katia qui aime les rituels du quotidien, soit un emballement saccadé quand elle est victime de ses angoisses.

Comment aimeriez-vous que ce film soit reçu ?
J’espère que chacun pourra se l’approprier. Si l’histoire d’amour peut toucher certaines personnes, tant mieux. Si la différence est finalement mieux acceptée, tant mieux. Si ce film apprend quelque chose sur l’autisme et aide à prendre conscience de notre méconnaissance, tant mieux. Tout me va tant que cela permet d’avancer.