ENTRETIEN AVEC LOLA DOILLON
Qu’est-ce qui
vous a amenée à cette histoire ?
C’est le sujet qui est venu à moi. Je savais que je voulais partir
sur une histoire amoureuse. En parallèle je me renseignais sur l’autisme, car on m’avait proposé de réaliser
plusieurs projets sur ce sujet. J’ai pris conscience que je n’y connaissais pas grand-chose et comme le personnage
de Katia, je me suis lancée dans de longues recherches. J’ai ainsi découvert les spécificités de certaines femmes
autistes sans déficience intellectuelle. J’avais la sensation d’avoir accès à une différence qui n’était peut-être
pas si éloignée. Ce qui m’a troublée c’est que beaucoup de ces femmes avaient été diagnostiquées tardivement.
Comment pouvait-on passer à côté de son autisme ou de celui de ses proches ? Je me suis ensuite demandé ce que le
diagnostic apportait et changeait pour la personne, ainsi que pour son entourage… et spécialement dans sa relation
amoureuse. Pour Katia et Fred ça ne pouvait pas être le même cheminement et c’est ce décalage de ressentis et de
réactions qui m’intéressait. Confronter leurs états de doute, d’appréhension, de soulagement à leurs sentiments
amoureux. Comment on fait quand on s’aime mais qu’on n’arrive pas à vivre cette relation ? Plus généralement,
cela m’emmenait à réfléchir au comment vivre une histoire d’amour quand on ne rentre pas dans les codes de notre
société.
Quel était votre guide à l’écriture ?
Ce
qui m’importait c’était que cette histoire d’amour puisse être possible, qu’on puisse comprendre le cheminement des
sentiments et des réactions des personnages. Il était aussi important que le personnage de Katia soit juste, même si
elle ne représente en aucun cas toutes les femmes autistes - il y a autant d’autismes que d’autistes. J’ai rencontré
en amont beaucoup de femmes concernées, ainsi que des spécialistes, à qui j’ai ensuite faire lire et
« corriger » le scénario, pour vérifier que le personnage de Katia soit crédible. J’avais aussi envie
qu’on puisse se mettre du côté de Fred et de son ignorance quant au sujet. J’aime bien qu’il ne soit pas un
personnage exemplaire, qu’il pense que ce nouveau mot « autiste » est anecdotique dans sa relation
amoureuse. Il est comme beaucoup de gens, maladroit par méconnaissance, même si c’est quelqu’un de bien qui va
ensuite être capable de prendre conscience et de réagir en conséquence. Et il y avait aussi l’envie de jouer avec
les nombreux préjugés sur l’autisme qui me paraissent aujourd’hui tellement absurdes alors que je les avais il
y a quelques années.
Aviez-vous les acteurs en tête lorsque vous avez
écrit le film ?
J’ai souvent du mal à imaginer les acteurs en amont par peur d’être déçue en cas de
refus. Et sur ce projet, il fallait trouver la bonne personne capable d’interpréter le rôle de Katia avec justesse.
A côté du casting plus traditionnel, la directrice de casting, Constance Demontoy, a aussi ouvert des recherches
auprès des quelques rares agences ayant des acteurs-rices atypiques. Puis j’ai rencontré Jehnny Beth qui s’est
imposée de manière très évidente. Elle a une singularité qui a naturellement fait exister l’atypie de Katia. Pour le
personnage de Fred ça a été aussi très évident. La directrice de casting, ainsi qu’une autre personne de confiance
m’avaient toutes deux parlé de Thibaut Evrard et effectivement il incarnait le côté bon vivant et très charmant que
je recherchais. Il fallait aussi que ce duo fonctionne, qu’on puisse croire à leur relation. Dès la première
rencontre, le couple a existé.
Quel a été votre travail avec les acteurs
?
Avec Jehnny, nous devions ajuster les particularités de Katia. J’avais des directions mais il a
fallu travailler ensemble pour trouver la justesse du personnage. Elle a aussi rencontré plusieurs femmes autistes
pour s’imprégner de leurs témoignages et répondre à ses questions. Puis nous avons fait plusieurs lectures et
répétitions avec Jehnny et Thibaut, autant pour travailler le texte que pour faire exister leur couple. Je pense
n’avoir jamais autant travaillé en amont et avec autant de précision les personnages. Ce qui était un luxe car ça
nous a permis, sur le tournage, de trouver le temps de chercher encore, de faire plusieurs prises, malgré une durée
de tournage assez restreinte. Non seulement j’ai eu la chance d’avoir rencontré des acteurs travailleurs mais leur
confiance, leur connivence et leur bienveillance ont permis d’avoir une grande liberté de jeu : on pouvait
essayer des pistes sans crainte de se planter ou d’en faire trop.
Le film montre comment notre société est peu dans un
souci d’inclusion, et souvent même pas du tout adaptée aux personnes avec handicap…
Il y a un grand
travail à faire de dialogue, d’écoute, de rencontres pour éduquer et trouver le moyen de vivre ensemble avec la
reconnaissance de la différence, et pas seulement les uns à côté des autres. On est tous conscients qu’il est
nécessaire de faire évoluer plus rapidement les choses, mais les actions ne sont pas encore suffisantes
aujourd’hui.
En quoi l’autisme féminin est-il plus compliqué à
diagnostiquer ?
Le spectre autistique est très large et aucune personne concernée ne ressemble à une
autre. Mais plus de femmes ont cette capacité à s’adapter et à masquer leurs différences. Elles sont ainsi plus
nombreuses à passer à côté du diagnostic. Certains des tests ne sont pas adaptés aux femmes (les critères ont été
établis à partir d’une population masculine), et les personnes spécialisées qui font passer ces tests ne sont pas
forcément formées à leurs spécificités. En France, nous sommes encore très en retard, notamment en ce qui concerne
le diagnostic.
Était-ce un exutoire de suivre un personnage qui vit
en dehors des codes ?
Au contraire, j’ai dû faire attention car je ne voulais pas que Katia soit une
caricature, qu’on se moque d’elle. Ce qui n’empêchait pas de pouvoir s’amuser et jouer avec ses différences comme sa
franchise, son pragmatisme ou sa sensibilité, mais toujours avec bienveillance et sympathie. Les personnes autistes
ont beaucoup d’humour et je me suis souvent inspirée des anecdotes qu’elles ont racontées. Le but est que ce film
s’adresse à tout le monde.
Les personnages de la mère et celui de la collègue
de travail montrent que les réactions de l’entourage peuvent être très différentes…
Encore une fois,
il n’y a pas de règle. Mais le mot « déni » est souvent revenu dans les témoignages, notamment concernant
les parents ou le conjoint. Je me suis dit que c’était intéressant d’en parler à travers la mère de Katia (Mireille
Perrier), d’essayer de comprendre aussi. D’un côté les parents sont les plus à même de connaître leur enfant, d’un
autre sûrement les plus aveugles. On ne veut pas que son enfant soit différent - ou alors en mieux ! Se rajoute
ensuite la culpabilité de cet aveuglement alors qu’on est censé être la personne la plus aidante. Quoiqu’il en soit,
le déni est terriblement préjudiciable pour la personne qui aurait plutôt besoin de soutien que de rejet.
Heureusement d’autres personnes comme la collègue et amie de Katia (Irina Muluile) l’acceptent sans jugement. C’est
une femme avec une forte personnalité qui se moque des codes et des normes. Et d’autres peuvent l’accepter avec une
certaine indifférence comme le directeur de rédaction.
Pourquoi avoir tourné à
Nantes ?
Quand le scénario le permet, je préfère tourner en dehors de Paris. Pour une question de
simplicité, de cohésion d’équipe, mais surtout pour explorer une nouvelle ville. Les financements m’ont amenée en
Région des Pays de la Loire. J’ai choisi de tourner à Nantes, qui proposait un large éventail de décors. Ce qui me
plait dans la découverte d’une ville, c’est d’abord de comprendre son fonctionnement. Grâce à l’équipe sur place,
aux différentes rencontres et aux déambulations dans les quartiers, j’ai regardé la ville d’une façon quasi
sociologique pour ensuite savoir où placer les personnages dans cet environnement. Dans quels restos, bars,
quartiers, ces personnages avec leurs âges, leurs classes sociales peuvent habiter et sortir. J’avais aussi envie de
jouer avec le contraste entre les deux personnages : Fred, bon vivant, vit dans une maison atypique, bordélique
et travaille dans une menuiserie associative tandis que Katia, plus solitaire, vit dans un appartement, sorte de
cocon à l’abri de l’extérieur, et travaille dans un open space d’un immeuble moderne. Même si c’est une fiction et
que les aléas d’un tournage restreignent souvent certains désirs (trop loin, trop cher), j’aime bien garder un
certain réalisme. Et si je transige à ce réalisme, c’est en conscience. Bien que cette histoire puisse exister
partout, j’avais envie que les Nantais puissent retrouver leur ville.
Quelles étaient vos exigences en matière de mise en
scène, d’image ?
Nous avons tourné en février à Nantes, nous savions que la météo allait être
capricieuse, nuageuse, souvent pluvieuse. Avec Pierre Milon, le chef opérateur, nous voulions contrebalancer le côté
triste et morose de la saison en recherchant la luminosité. Ce qui nous a amenés à choisir des lieux avec beaucoup
de fenêtres (l’appartement de Katia, son bureau, les cafés et restaurants). De plus l’idée est venue que Katia porte
toujours un vêtement ou accessoire de couleur rouge quand elle sort de chez elle, couleur qui la représente mais qui
vient aussi contraster le gris de la ville. En ce qui concerne la mise en scène, l’envie était de rester proche de
nos personnages, surtout de Katia que l’on filmait souvent seule. Il fallait pouvoir la suivre avec fluidité, on est
donc parti avec l’idée d’avoir une caméra à l’épaule quand Katia sort de chez elle.
Quelles étaient vos attentes pour la musique
?
J’ai découvert que beaucoup de personnes autistes écoutaient du hardcore, du métal, bref du
« gros son » ; Ce qui va à l’encontre des clichés qu’on peut avoir sur l’autisme.
Pour contraster avec ce genre de musique qu’écoute le
personnage de Katia, je voulais une musique originale plus délicate, plus douce. L’idée était d’accompagner sa
complexité émotionnelle par une musique qui nous fasse partager son ressenti, que ce soit dans des moments
d’angoisse et de stress, ou dans des moments de sérénité ; une musique minimaliste mais qui ne soit pas trop
connotée « classique » pour ne pas assagir sa singularité. Le superviseur musical du film, Thibault
Deboaisne, m’a présenté le groupe Code, composé de Jérémy Arcache et Léonardo Ortega. J’ai beaucoup aimé leur
créativité et leur talent à mélanger les genres. On s’est rapidement entendu sur le fait d’avoir une musique épurée
mais sophistiquée. En cohérence avec ce film où il y a peu de personnages, l’idée était de partir avec peu
d’instruments, mais de choisir ceux qui pouvaient retranscrire le plus le côté humain, majoritairement des
instruments à cordes et à vent. Les mélodies sont souvent structurées de motifs répétitifs. Elles retranscrivent
soit une métronomie très rassurante pour Katia qui aime les rituels du quotidien, soit un emballement saccadé quand
elle est victime de ses angoisses.
Comment aimeriez-vous que ce film soit reçu
?
J’espère que chacun pourra se l’approprier. Si l’histoire d’amour peut toucher certaines personnes,
tant mieux. Si la différence est finalement mieux acceptée, tant mieux. Si ce film apprend quelque chose sur
l’autisme et aide à prendre conscience de notre méconnaissance, tant mieux. Tout me va tant que cela permet
d’avancer.